vendredi 6 avril 2018

Témoignage d'E. : née musulmane en France, elle doit garder le silence sur son athéisme


Je m’appelle E. Je suis née en France de parents maghrébins musulmans.
Mes parents sont arrivés en France, en banlieue parisienne dans les années 60. Ils étaient croyants non pratiquants.
Mes frères, sœurs et moi avons eu une éducation laïque basée sur le principe de valeurs universelles.
Mes parents parlaient souvent de Dieu comme un ami imaginaire bienveillant qui distribuait les bons points ou les punitions en fonction de nos actes et comportements. Je n'étais pas réellement convaincue de son existence.


A la fin des années 80 les voisines de ma mère ont commencé à changer leur tenues vestimentaires, à se voiler. Petit à petit les gens autours de nous devenaient très pieux, les mentalités changeaient.

J’ai le souvenir de quelques événements marquants qui avaient suscité l'émoi dans le quartier tels que la première intifada, la fatwa contre Rushdie et l'affaire du voile des collégiennes de Creil. On ne parlait plus de communauté maghrébine mais communauté musulmane. Il y avait de moins en moins de mixité sociale, les paraboles commençaient à fleurir favorisant le repli identitaire. Pour faire face à la délinquance, la mairie subventionnait des associations de quartier tenues par "les grands frères" qui prônaient des discours religieux pour canaliser les jeunes.
La première guerre du Golf avait enthousiasmé les jeunes et moins jeunes, Saddam Hussein était le héros du quartier, quelque chose d'étrange se mettait en place mais je ne mesurais pas encore l'ampleur.
Les boucheries et commerces hallal prenaient place tandis que charcutier traiteur et fromagers traditionnels disparaissaient. On y faisait nos courses parce que c'était pratique. On ne mangeait pas forcement hallal à cette époque. C'est devenu obligatoire par la suite.
Mon père a cessé de fréquenter les cafés pendant le ramadan et ma mère ne fumait plus dans la rue mais ils ne sont pas devenus plus pratiquants pour autant. Mes frères et sœurs eux, à l'inverse étaient plus impliqués et avec les années de plus en plus rigoureux dans leurs pratiques.


Je me suis mariée à un musulman qui ne pratiquait pas et j'ai eu 2 enfants.


Aujourd'hui 25 ans plus tard, le monde de mon enfance a complètement disparu. Une omerta religieuse s'est installée.
J'ai cherché pendant plusieurs années à me convaincre de l'existence de Dieu pour être en harmonie avec la "communauté". Tous les jours je constatais son absence avec les guerres, les injustices, les maladies. J'ai essayé de lire le Coran mais je n'accrochais pas.
Un jour on m'annonça la maladie incurable de mon fils et j'ai compris la supercherie. C'est pas dieu qui allait le sauver : c'est la médecine, la science, le progrès et moi : en l'accompagnant tous les jours.
Pendant toutes ces années où je cherchais Dieu, mon mari lui, l'avait trouvé. Comme c'est dans l'air du temps, toute ma famille, enfants compris, est devenue très religieuse et moi athée. Mes amis, mes voisins, beaucoup de mes collègues sont musulmans. Sur mon lieu de travail, on me demande souvent pourquoi je ne jeûne pas pendant le ramadan. En France, sur mon lieu de travail, je dois justifier ma non-religiosité !! Qui l'eût cru !

Nous avons signé une charte d'engagement à respecter la laïcité sur mon lieu de travail. C'est généralement respecté sauf pendant le ramadan. Durant ce mois tous les verrous de la discrétion sautent. Une musulmane qui ne jeûne pas est considérée comme irrespectueuse voire provocatrice. Pour un collègue musulman ou non musulman mon cas est incompréhensible. Ne pas avoir à me justifier serait mon idéal.

Mon mari et ma fille s'inquiètent de mon manque de ferveur religieuse et m'incitent régulièrement à faire la prière. Je me tais. Je garde le silence sur ce sujet parce que je sais qu'ils ne comprendront pas et j'ai peur de les perdre. Le problème c'est qu'on ne quitte pas l'Islam. Les péchés les plus horribles peuvent être balayés en Islam mais pas l'apostasie ni l'homosexualité. Ce sont des années de doutes et de questionnement, des années de recherches qui m'ont sortie de L'Islam. Ce n'est pas en un mot "apostasie" que l'on peut expliquer tout un cheminement. Je n'ai pas choisi d'être musulmane mais je risque le rejet, voire pire parce que je ne veux pas être musulmane. Le choix, la liberté n'existent pas en Islam.


Ce témoignage je le dédie à ma fille. Une jolie jeune fille intelligente, cultivée et indépendante. Petite elle me posait de milliers de questions, elle n'était jamais rassasiée. Aujourd'hui elle place sa foi au centre de sa vie. Sa croyance ne lui permet pas d'accepter ceux qui quittent son chemin. J'aimerais qu'elle me pose des questions pour lui répondre mais elle ne le fera pas car elle ne veut pas entendre mes réponses.


Nota Bene :
En France, depuis 1905, la laïcité garantit la liberté de conscience, soit d’avoir ou ne pas avoir de religion et de pouvoir en changer. Dans ce témoignage, Eléonore nous confie son choix de quitter l’islam. Apostate ou ex-musulmane depuis 8 ans, elle ne l’a toujours pas annoncé à son entourage. En Islam, l’endogamie stricte ne s’applique pas aux hommes qui peuvent épouser en plus des musulmanes, des chrétiennes ou des juives. Chez les pratiquants, un mariage avec une femme athée est considéré comme un grand péché. L’apostasie de l’un des conjoints pose entre autres la question du divorce, du rejet par sa famille, etc. 

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