Auprès d'une partie des noirs, les actions des associations antiracistes, parties civiles dans plusieurs procès ou actives sur le terrain pour sensibiliser contre le racisme, ne se remettront pas de cette image fausse d'abandon du noir au profit du juif, ou du blanc.
Par capillarité, pour lutter contre le système comme Dieudonné, ses fans, bien au-delà de la seule communauté noire, pourront être sensibles aux thèses diffusées par son allié Alain Soral, et par d'autres sites complotistes comme alterinfo ou Panamza qui restent dans la même veine anti-juive, et feront la part belle à des idées complotistes après l'attaque du Thalys et les attentats de janvier et de novembre 2015.
Ces sites, qui sont devenus une référence pour certains lecteurs, influencent tout leurs rapports aux juifs, aux institutions républicaines et à la société française : fausses informations, éléments tronqués, la construction d'une idée de "complot sioniste global" et d'un "lobby sioniste" sont leurs lignes éditoriales.
Lire ici un article de rue89 sur ces sites et leur diffusion d'idées complotistes au moment des attentats en 2015.
Des propos négationnistes ou incitant à la haine raciale ont valu des condamnations à Alain Soral. Depuis 2003, les condamnations de Dieudonné, ses dérapages, sa lettre à Salah Abdeslam, ont poussé certains de ses premiers soutiens à revoir leur opinion. Entre temps, 15 ans se sont écoulés.
C'est également à l'époque de l'affaire Dieudonné et du sketch réalisé sur le plateau d'On ne peut pas plaire à tout le monde, qu'est constitué le CRAN, Conseil Représentatif des Associations Noires, une fédération impulsée en 2005 par Nicolas Sarkozy pour avoir une "voix des noirs" sur le modèle des représentations communautaires à l'américaine dans le dialogue avec l'exécutif.
Emergeant avec une nouvelle sensibilisation à la nécessité d'un lobbying et d'une réponse plus musclée dans des affaires médiatisées mais pas toujours solides ni fondées sur le plan judiciaire, le CRAN n'est pas toujours connu du grand public mais peut émettre une communication officielle jugée représentative des noirs de France.
Pas un mot du CRAN lors des commémorations des attentats de novembre 2015 qui verront mourir des victimes noires et arabes françaises ainsi qu'étrangères attablées en terrasse ou présentes au Bataclan ni lors des commémorations des attentats de janvier 2015, sauf pour souligner l'absence d'Emmanuel Macron au troisième jour, quand Clarissa Jean-Philippe, policière municipale martiniquaise tuée à Montrouge par Coulibaly, fut honorée par le ministre de l'intérieur Gérard Collomb et Annick Girardin la ministre des outre-mer.
Le CRAN demande de l'empathie, et à raison, sur les questions telles la prise en compte des crimes passés, des difficultés actuelles rencontrées par les noirs français et la juste reconnaissance des noirs comme citoyens à part entière comme l'exige la Constitution qui refuse toute différenciation raciale. Cependant, cette empathie n'est pas transversale et ne saurait concerner les autres minorités ni la communauté nationale qui représente toutes et tous et ce, même dans des moments où le choc, l'émotion et le deuil semblent toucher les français au-delà des catégories dans lesquelles l'on ne cesse de les enfermer.
Sans aucunement être représentative des comportements individuels et de l'émotion qui peut relier les français dans la joie ou dans le deuil, cette sectorisation "chacun ses morts, chacun sa mémoire" accentue les fractures.
Invitée lors de 24h Pujadas en novembre 2017, Maboula Soumahoro, qui organise la version française du Black History Month, avait exprimé cette forme d'antisémitisme liée à la compétition entre minorités, considérant normal de constituer une liste électorale pour faire perdre son mandat à un maire parce qu'il était juif.
Dans ce contexte, certaines idées pour la défense de la cause noire s'alignent plus facilement avec un rejet des juifs, notamment au travers d'une récupération disparate de l'héritage de Malcolm X.
Malcolm X, le chaînon manquant
Une rue de Jérusalem porte le nom du révérend Martin Luther King Jr. Elle nous renvoie plus de 50 ans en arrière, à l'homme qui unifia l'Amérique pour changer la Constitution et faire reconnaître la pleine citoyenneté des noirs américains. Et c'est bien avec lui et avec sa vision du militantisme noir affirmé, mais non séparatiste ni racialiste, que des juifs américains ont pu prendre part au mouvement des droits civiques qui a abouti à la fin de la ségrégation aux Etats-Unis.
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Mémorable marche sur Washington en 1963 où eut lieu le discours "I have a dream" de Martin Luther King Jr, le rabbin Joachim Prinz aux côtés du Dr King Jr et de John Lewis, Matthew Ahman, Floyd B. McKissick, le révérend Eugene Carson Blake, Cleveland Robinson.
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Le rabbin Abraham Joshua Heschel en mars 1965 lors de la célèbre Marche pour les droits civiques de Selma à Montgomery avec le révérend Martin Luther King et d'autres leaders de ce mouvement, dont John Lewis, une nonne non identifée, Ralph Abernathy, Ralph Bunche, le révérend Fred Shuttlesworth
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S'il est une figure majeure de la lutte pour les droits civiques, Martin Luther King Jr est moins cité qu'une autre figure plus virulente et radicale dans sa démarche pour l'émancipation et même l'établissement d'un état américain séparé pour les noirs. Cette approche plaît plus aux militants anti-racistes radicaux français qui tentent d'occuper le devant de la scène et qui reprennent notamment en partie sa parabole "nègre de maison" contre "nègre des champs" pour distinguer les noirs inconscients ou volontaires dans un système les exploitant, de ceux qui se battent. Cette distinction, poussée jusqu'à l'insulte, revient souvent, avec son équivalent "arabe de service".
Leader charismatique noir et musulman, Malcolm X et une certaine idée que certains se font et répandent de ses discours, scellent la séparation de la cause noire de la cause juive, voire la justification d'un antisémitisme lié à une concurrence entre ces causes.
Dans son opposition aux juifs de Harlem qui développaient des commerces prospères vendant de l'alcool au moment où Nation of Islam incitait les noirs à ne pas boire et à embrasser l'islam, Malcolm X a délivré des discours très virulents et critiques pouvant alimenter des discours antisémites. Il a été d'autant plus à l'aise dans ces critiques qu'il avait auparavant condamné le nazisme et la Shoah, et ne généralisait pas celles-ci à tous les juifs américains.
Malcolm X disait des juifs qu'ils étaient les plus féroces à défendre les membres de leur communauté, que quiconque s'en prenait à l'un d'eux pouvait s'attendre à une féroce réponse collective pour le protéger, une réaction épidermique qui pouvait même valoir d'être étiqueté antisémite pour une simple critique.
Il expliquait que les larmes des juifs venus trouver refuge aux Etats-Unis ne devaient pas faire oublier celles des noirs qui y supportaient la ségrégation après avoir enduré l'esclavage au prix de nombreuses vies.
Il allait jusqu'à dire que les juifs qui cautionnaient le système ségrégationniste opprimant les noirs, ne valaient pas mieux que les nazis européens, en légitimant sur le sol américain esclavage, lynchage, ségrégation et répression d'une autre minorité.
Malcolm X reconnaissait tout à fait l'investissement de juifs avec les noirs du mouvement des droits civiques en particulier avec Martin Luther King Jr, c'est aussi pour cela qu'il a dit qu'il n'avait pas peur de les critiquer très sévèrement, quitte à être estampillé antisémite pour ses propos, car cela ne reflétait pas son sentiment vis à vis des juifs dans leur ensemble.
Ces discours, associés à la position très antisémites de Louis Farrakhan depuis la mort de Malcolm X, contribuent à un fond de préjugés antisémites dans certaines approches des rapports entre les juifs et les noirs, qui est nettement renforcé par la véritable OPA de l'islam politique sur la cause des noirs depuis les 20 dernières années.
Marwan Muhammad, qui se compare beaucoup à Malcolm, est l'une des illustrations de la façon dont les penseurs noirs, les mémoires des peuples noirs, leurs revendications, sont allègrement repris dans la communication de personnalités et d'organismes de l'islam politique ici et ailleurs.
Ceux qui prônent l'émancipation des noirs du monde entier se retrouvent parfois solidaires et relais potentiels, volontairement ou non, de ceux qui ont identifié le juif comme leur ennemi pour raison religieuse.
L'antisémitisme comme profession de foi
Malgré des décennies de ce qui ne peut pas être qualifié de cohabitation parfaite et paradisiaque, dresser le juif comme adversaire systématique du musulman est devenu un phénomène plus courant dans les années 2000 notamment avec la seconde Intifada et avec un ancrage de plus en plus efficace des idéologies radicales, tant sur le terrain, que dans les cercles d'intellectuels et les diffusions sur internet en particulier via des vidéos qui sont partagées des centaines de milliers de fois.
Cela coïncide avec un néoconservatisme et un besoin d'affirmer et de défendre ses croyances, sa religion, son honneur, d'une manière qui ne concerne pas que les musulmans d'ailleurs, et qui trouve une expression dans un militantisme du quotidien : fierté d'arborer des vêtements religieux, port du hijab et de la barbe, alimentation halal, finance et épargne islamiques, sites de rencontres par affinité religieuse, etc.
Dans ce contexte de l'affirmation identitaire religieuse néotraditionnaliste, la place du juif peut plus naturellement être celle de l'ennemi, non seulement à cause du conflit israélo-palestinien mais aussi via des préceptes écrits qui déshumanisent les juifs, au point que le mot juif constitue une insulte courante entre musulmans.
Verset 82 de la sourate Al-Ma'ida
Verset 51 de la sourate Al-Ma'ida
Versets 5 et 6 de la Sourate al-Jumu'ah
Nombreuses versions de différents narrateurs, de Sahih Muslim
Tous les musulmans ne sont pas antisémites, loin de là. Ce qui demeure inquiétant, c'est la banalité de propos ou prêches antisémites dans des conférences, des vidéos, des livres qui sont destinés à des musulmans. D'ailleurs lorsque des imams font l'objet de controverses suite à des prêches antisémites, ils ne perdent pas pour autant la possibilité de continuer à intervenir, notamment auprès d'un jeune public. Il en va de même pour l'homophobie ou des messages violents et dégradants visant les femmes. A l'exemple du très populaire Hassan Iquioussen, dont le prêche antisémite datant de 2004 a été très largement diffusé y compris via des librairies, ces discours se sont banalisés, sans même provoquer de poursuites ni de réactions politiques.
Quelques polémiques de ci de là, et puis l'indignation s'en va. Cela, ni les autres influences ou prises de position inquiétantes, n'ont pas empêché les responsables politiques de gauche comme de droite, comme Nicolas Sarkozy, de permettre à l'UOIF d'avoir pignon sur rue partout en France, non seulement dans les lieux de cultes mais dans des congrès, conférences organisées dans des lieux publics.
La doctrine salafiste a elle aussi trouvé sa place dans les paysages ordinaires français, en ville, en banlieue, dans des campagnes où il a été difficile d'enrayer son expansion.
La liberté de culte, garantie par l'Etat, dans le cadre de la loi, se trouve sans limite alors même qu'elle bat en brèche des droits fondamentaux. Entraver la liberté religieuse est un terrain sur lequel les français rechignent énormément à aller compte tenu des persécutions religieuses qui ont marqué notre histoire et que nous ne voulons pas renouveler. Seules les dérives sectaires sont visées par les autorités, et il en faut beaucoup pour qu'elles se décident à intervenir.
Les récents attentats ont poussé à la fermeture de mosquées, décisions de l'exécutif qui, malgré de vives critiques et des accusations d'atteinte à la liberté, n'ont pas été cassées par les recours juridiques. Cela intervient hélas avec plus d'une dizaine d'années de retard.
Les effets de ces années d'aveuglement politique, localement et de la part de l'exécutif, sont désastreux en l'absence de contre-discours au sein même des courants religieux, d'efforts de terrain contre le racisme et l'antisémitisme dans le milieu scolaire, de rigueur concernant les interventions associatives sportives cultuelles et culturelles qui peuvent être mises à profit pour avoir une influence durable sur la jeunesse. La mise au placard de la laïcité, l'absence de charte et de contrôle, ont rendu possible de subventionner des activités à caractère culturel (et cultuel sous couvert de culture), éducatif, sportif, qui n'étaient en fait que des moyens de capter un jeune auditoire pour faire la promotion d'idéologies religieuses radicales.
La sourde oreille également, face aux quelques sonnettes d'alarmes tirées par des parents, des éducateurs, des habitants, a conforté les partisans de l'islam radical dans une démarche à laquelle la résistance était quasi inexistante. Pendant que ces idées faisaient leur oeuvre, la conscientisation identitaire revancharde a achevé de créer une posture revendicative de la part des français dont les parents sont originaires des anciennes colonies, en particulier l'Algérie avec l'histoire douloureuse de la guerre.
Ces revendications, et la vision des rapports de société qu'elles dessinent, ont beau être minoritaires, l'emphase que leur offre une médiatisation sans précédent et un soutien politique, contribuent à leur permanence.
"Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous" disait Fanon. Ses héritiers, tout comme une partie de la gauche, ont pourtant signé un chèque en blanc à toute démarche des mouvances décoloniales malgré leurs radicalités. Le soutien à l'autodétermination, l'autodéfense, l'émancipation face à l'hégémonie coloniale tant structurelle qu'idéologique (ce que serait l'universalisme) pousse à un aveuglement : rejeter l'universalisme car il serait initié par les blancs et donc les colons - bien que les penseurs des Lumières ont lutté contre l'esclavage - et absoudre toute dérive d'une initiative décoloniale parce qu'elle vient des minorités. Double préjugé essentialiste lourd de conséquences.
En effet, lorsque Houria Bouteldja du Parti des Indigènes de la République, n'affirme pas "sionistes au goulag" mais défend une position simplement de précurseur d'antisémitisme. Selon elle, le drame qui a touché les juifs de France lors de la Shoah ne concerne pas les français dont les ancêtres ont connu la colonisation, cette mémoire là n'est pas la leur, ni en tant que récipiendaire identitaire ni en tant que français puisque ce fut l'oeuvre d'un état dans lequel ils ne se reconnaissent pas.
Ce narcissisme poussé à l'extrême empêche de participer de la même nation, en rendant impossible de reconnaître et de comprendre les histoires des uns et des autres, ni même l'Histoire qui a permis que la France soit ce qu'elle est aujourd'hui et qui en fait un pays unique et indivisible. Si un descendant d'esclave ne peut pas avoir de légitimité à s'émouvoir du récit d'un réfugié politique fuyant le franquisme ou la guerre en Syrie, si aucun d'eux ne peut avoir de légitimité à s'émouvoir du sort de Gavroche sur sa barricade parce qu'il était blanc, il n'y a plus de République et plus que des divisions.
Et ces juifs pour lesquels l'empathie n'est pas de mise pour les "indigènes", sont en plus coupables car ils se distingueraient par leur "souhait de ressembler au blanc", ils bénéficieraient d'une faveur, d'une priorité en raison de la reconnaissance de ce qu'ils ont subi et exerceraient une position dominante par rapport à d'autres minorités.
Tout concourt à ce que la pression réelle de l'antisémitisme quotidien dans les quartiers populaires s'ancre durablement notamment à cause de l'indifférence voire de la justification de cette haine dans les discours de ceux qui se montrent comme les nouveaux fers de lance de la lutte contre le racisme. Rompus aux usages des réseaux sociaux, habiles prestidigitateurs du buzz pour amener des polémiques qui enflamment un microcosme avant d'être repris dans les médias, ils parviennent à écraser la vision des réalités de leur approche idéologique, tour à tour effaçant ou accusant le juif.
La nouvelle vieille idée du juif prospère, influent, omniprésent dans le secteur des banques et des médias, etc. rejoint les vieux relents d'antisémitisme que l'extrême droite et les nazis ont entretenu depuis le début du 20ème siècle. Le danger de la rencontre de ces idées, et de l'amplification antisémite qu'elles induisent, sont désastreux en terme d'actes antisémites, d'indifférence face à ces actes, et de repli de la communauté juive qui se trouve aux abois jusqu'à émigrer en Israël par le pouvoir de l'Alya.
Une opinion qui finit par laisser le juif à son sort, dans le repli, la crainte et le sentiment réactionnaire
Comme il semble "mériter ce qui lui arrive", pour une raison ou une autre, le juif est non seulement ciblé par l'antisémitisme mais aussi privé de la reconnaissance même du caractère anormal des actes antisémites et de la prévention de ces actes.
Dans le stage du syndicat enseignant Sud Education 93 " Au croisement des oppressions, où en est-on de l'antiracisme à l'école" réalisé en décembre 2017, le programme annonçait un développement sur l'islamophobie dans l'éducation nationale et sur le "racisme d'Etat", des ateliers en non-mixité raciale mais pas de programme spécifique sur l'antisémitisme, que l'on croirait absent des inquiétudes de ce département, que les habitants juifs fuient pourtant de plus en plus, à l'image de Sarcelles, lorsqu'ils n'ont pas pu déménager à l'intérieur de la Seine-Saint-Denis vers des villes qui leur semblent moins "dangereuses". Cet exode intra francilien est abordé dans cet article néerlandais.
En 2017 l'on a dénombré :
121 actes antimusulmans (source Ministère de l'intérieur) pour une estimation de 5,8 millions de musulmans français (étude Pew Institute).
311 actes antisémites (source Ministère de l'intérieur) pour environ 500 000 juifs français (Berman Jewish Database). Légère baisse par rapport à 2016, mais une augmentation des actes avec violence 97 en 2017, contre 77 en 2016.
L'antisémitisme, qui est incroyablement élevé dans les actes rapportés, par rapport au nombre de juifs, est souvent absent des conférences et discours de la vague de néo-antiracistes qui entendent apporter la parole "authentique" et répondre aux réalités de terrain qui échapperaient aux associations historiques et aux institutions.
Lorsque Rokhaya Diallo aborde l'antisémitisme de l'Allemagne nazie sans le cautionner, elle lui confère une approche particulière, en soulignant que la haine des nazies envers les juifs n'était pas basée sur des caractéristiques dégradantes comme ce fut le cas pour d'autres minorités visées par la déportation et la solution finale (personnes handicapées, tziganes). Pourtant, c'est véritablement comme une catégorie de sous-hommes même inférieurs à des animaux que les juifs étaient désignés, les untermenschen. Cette étrange requalification par Rokhaya Diallo rejoint celle de l'activiste américaine Linda Sarsour, rompue aux doubles discours, va plus loin dans cet aspect. Ce n'est pas la qualité mais la quantité que Linda Sarsour s'attache à décrire dans un concours macabre de façon à minimiser le nombre de victimes juives par rapport aux LGBTQ, tziganes et autres minorités dont elle choisit d'exagérer le nombre.
Actuellement, c'est l'islamophobie qui est présentée comme un phénomène galopant, et s'il s'avère hautement nécessaire de lutter contre tout acte discriminatoire et/ou violent à l'encontre des musulmans, il est étonnant que l'antisémitisme ne soit pas médiatisé ni pris en compte sur le terrain comme le voudraient les chiffres. Il est devenu courant d'entendre ou de lire que les musulmans français sont comme les juifs des années 30, alors qu'il semble bien que les juifs français soient en réalité toujours comme ceux des années 30.
La force de la République est de pouvoir lutter contre ces deux maux en sortant des pièges du prisme communautaire, sans effectuer de traitement inégalitaire, non seulement en mettant les moyens nécessaires pour sensibiliser contre le racisme dès l'école élémentaire, mais aussi en enrayant la diffusion des discours de haine sur internet, et intervenant pour que la jeunesse puisse mieux découvrir toutes les valeurs républicaines.
Une proposition qui paraît anodine dans le récent rapport de Gilles Clavreul sur la laïcité, pourrait aider à réinvestir les lieux où les jeunes reçoivent des repères, au travers d'activités de loisir et éducatives (dont les néoconservateurs religieux ont bien compris l'importance puisqu'ils ne manquent jamais d'utiliser ce type d'animations pour leur endoctrinement) : cibler les formations d'animation culturelle ou sportive et les associations en conditionnant un cursus sur la laïcité et les valeurs de la République ainsi que des conditions en terme d'engagement civique pour le versement des subventions. C'est un pas décisif, mais quid des écoles privées religieuses, de la supervision de l'enseignement qui y est véhiculé, de l'évincement systématique des imams qui fautent, de la protection des enfants dans les écoles ou ailleurs (quelles propositions est-il possibles de faire à ce sujet ?).
La Shoah est un sujet qui symbolise une époque peu glorieuse dont on ne veut pas se souvenir, et certains préfèrent pointer la flèche vers les juifs pour ne pas plonger plus en amont dans ce que cette époque a pu représenter.
Ainsi, alors que personne ne s'étonne de l'existence de Fonds de garantie qui mettent la solidarité nationale au service de l'indemnisation des victimes d'accident de la route y compris en cas de délit de fuite, et des victimes d'actes de terrorisme, il se trouve des personnes pour trouver suspicieuse celle des victimes et des enfants de victimes de déportation à laquelle l'Etat français a participé sous le régime de Vichy.
Ce malaise, cette inversion de la culpabilité qui retombe sur les juifs alors que ce sont des bien des juifs qui ont subi ces crimes, favorisent une forme de vindicte vis-à-vis de ceux qui semblent profiter de la Shoah, vindicte aussi ridicule qu'ignoble.
Désertant de plus en plus l'enseignement public, fuyant des quartiers devenus peu sûrs, les juifs de France deviennent doublement victimes d'un repli forcé par l'absence d'engagement politique réel, en particulier localement, pour enrayer l'antisémitisme. Car c'est bien localement que des réunions ou conférences - où l'antisémitisme est remis à neuf et au goût du jour - sont organisées et autorisées avec parfois l'aide de subventions des mairies, départements, de la CGET, etc.
Bordeaux, Lille, Le Havre, Gennevilliers, Lyon, etc. ont ouvert des espaces publics à ceux qui, agissant sous la large bannière de l'antiracisme politique ou de rencontres militantes ou encore de rassemblement religieux, permettent à des personnalités et des ouvrages antisémites de trouver une audience régulièrement en France. Il n'y a quasiment aucun contrôle de la programmation de ces événements et ce sont des citoyens qui en dénoncent la teneur, en comptant sur la mobilisation des réseaux sociaux, et ce parfois au prix d'intimidations et de menaces de mort, comme ce fut le cas pour Laurence Marchand Taillade en 2016.
De même, des universités ont, sous le prétexte de la pluralité d'opinion, fait intervenir des personnalités faisant le lit de l'antisémitisme, sans leur apporter de contradiction, qui est pourtant la condition pour que la pluralité d'opinion, la liberté d'expression, soient garantes d'une parole qui ne stigmatise pas.
Face à ce climat qui affecte bien au-delà de l'ordinaire du quotidien, le repli des juifs leur fait quitter les endroits où il y aurait une chance pour des citoyens de se rencontrer et de se lier en faisant fi des préjugés. En particulier, la fuite des élèves juifs de l'école publique a des conséquences désastreuses sur la possibilité des autres élèves et de leurs familles à faire société harmonieusement avec des juifs.
Dans le même temps que cette invisibilisation progressive des juifs dans la sphère publique, ce repli encourage un durcissement de leurs positions politiquement, une aubaine que l'extrême droite a saisi pour tenter de ratisser des voix chez ces français qui ont été trahis par les partis traditionnels des deux côtés de l'échiquier politique. Paris, Lille, Orléans, Elancourt, Le Havre, Mulhouse, Avignon, Les Essarts le Roi, Bordeaux, Venissieux, la liste des endroits où il a été possible de laisser faire des poussées néoconservatrices est longue et, dans les années 2000, le phénomène prend de l'ampleur avec la reconnaissance dont bénéficiera l'UOIF par les dirigeants tels que Nicolas Sarkozy qui, en tant que Ministre de l'Intérieur, se rendait alors au salon tenu par cette organisation au Bourget où Femmes et hommes étaient séparés, ce qui ne l'a nullement dérangé pour réaliser son intervention.
Et voici les antisémites et négationnistes d'hier au secours des juifs de France : si pour l'heure leur réponse n'a pas été positive en terme de voix, cela illustre un risque non pas d'une bascule électorale, mais d'une persistance à l'immobilisme de la classe politique, sauf de la part de l'extrême droite qui ne ménage aucun effort populiste, et dont certains courants sont eux mêmes toujours fortement antisémites.