Invitée de l'émission Grand bien vous fasse d'Ali Rebeihi sur France Inter pour parler de cheveux et de choix capillaires, l'activiste Rokhaya Diallo a eu une surprenante réflexion sur le port du voile islamique : "Aujourd'hui on a des femmes qui pour des raisons religieuses choisissent de masquer leurs cheveux et on remarque que cela irrite, comme si le corps des femmes devait toujours être à disposition."
"Comme si le corps des femmes devait toujours être à disposition," qu'est-ce que cela induit pour celles qui font le choix de ne pas masquer leurs cheveux ?
Dans quel contexte le corps des femmes passe-t-il d'être à disposition à ne plus l'être, grâce au voile ? A-t-on déjà entendu dire de telles choses d'un homme qui serait "dévoilé" ?
Rokhaya Diallo rejoint ici les arguments sexistes, inquiétants voire légitimant les agressions sexuelles et le viol des femmes non voilées qui reviennent régulièrement lorsque l'on prête l'oreille.
Lors du Lallab day, événement organisé début février 2018 par l'association féministe musulmane Lallab, Nacira Guenif Soualimas a une fois de plus démontré à quel point le féminisme pour musulmanes ambitionne de se faire le porte-voix féminin du discours sexiste produit par les imams et les penseurs masculins d'un islam politique : "Pourquoi faut-il plus sauver les femmes du port du voile que les hommes de la circoncision ? Car on cherche à s'approprier le corps des femmes. La logique ? Rendre les femmes voilées comme les autres : disponibles à la prédation."
Cela rappellera la diatribe de l'imam Houdeyfa, de la mosquée Sunna de Brest, dans l'une de ses nombreuses vidéos consultables sur Youtube :
"Comment une femme peut dire “moi je suis une femme avec beaucoup de pudeur” alors qu’elle sort de chez elle sans son hijab. Le hijab c’est la pudeur de la femme et sans pudeur la femme n’a pas d’honneur. Et si la femme sort sans honneur, ici qu’elle ne s’étonne pas que les gens, que les frères [musulmans, NDLR], que les hommes – que ça soit des musulmans ou des non-musulmans – abusent de cette femme là. Et la néglige, et l’utilise comme un objet."
Cet imam est désormais à même d'intervenir en tant que référent laïcité, grâce au diplôme universitaire qu'il a obtenu le 19 décembre 2017, "religion, droit et vie sociale", délivré par l'université de droit à Rennes 1 à l'issue de 125 heures de cours.
D'après Brigitte Feuillet-Liger, professeure à la Faculté de droit, citée dans l'Express, l'objectif de ce diplôme est "d'assurer une formation civique et citoyenne, notamment pour former des référents laïcité dans divers domaines de la vie professionnelle ou associative".
"Les cours portent notamment sur le rapport entre les religions et l’État de droit, les règles de la laïcité, la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, la liberté de religion, l’histoire religieuse de la France, la sociologie religieuse..."
Après des années de discours grand public assimilant le hijab à un simple accessoire comparable à la jupe pour endormir les non musulmans, il est possible de se rendre compte que la phrase choquante de Hani Ramadan lors d'une conférence en Suisse en 2016 n'est en réalité qu'un rétablissement du voile islamique dans ce qui s'est toujours dit loin des oreilles profanes : son rôle est de servir de frontière entre les femmes de vertu et celles qui n'ont pas d'honneur.
"La femme sans voile est comme une pièce de 2 euros, visible pour tous elle passe d’une main à l’autre" expliquait Hani Ramadan, frère du professeur Tariq Ramadan, et dont le grand-père est le fondateur des Frères Musulmans.
Capture d'écran Youtube d'une vidéo d'Hani Ramadan |
En 2015, le Parti des Indigènes de la République réaffirmait le "message clair" envoyé par le voile : "nous ne sommes pas des corps disponibles à la consommation masculine blanche". Le problème ici n'est pas la consommation mais la couleur du consommateur.
Les personnes que tous ces propos ont laissé sans réaction, telle Océane Rose Marie, proche de Rokhaya Diallo et des Indigènes de la République, ou encore l'historienne militante Laurence de Cock, ont été extrêmement choquées au point de lancer un début de polémique suite à la la réponse sarcastique apportée par Fatiha Boudjahlat, au moyen d'une démonstration par l'absurde qui manque de finesse dans sa forme mais pas de justesse sur le fond.
Le fond, on l'aura compris, n'intéresse pas, ou plutôt il leur faut tout faire pour qu'il n'intéresse pas pour que l'on ne se rende pas compte de la logique qui découle de la déclaration de Rokhaya Diallo. Plus facile donc, de faire du bruit sur la forme et de détourner l'attention, faute de pouvoir proposer des arguments. Sur un réseau social, ou l'ironie passe rarement sans se fendre de quelques smileys, un début de polémique a émergé concernant la réponse de Fatiha Agag-Boudjahlat.
Fatiha Agag-Boudjahlat, professeur au collège, a publié aux éditions du Cerf Le grand détournement, où elle démontre comment les principes universels et les moyens républicains sont détournés par les communautaristes. En difficulté pour user de l'argument le plus souvent massue, celui du racisme ou du colonialisme, pour répondre à ses démonstrations précises des techniques employées par les chantres du repli identitaire et leurs agents facilitateurs dans les médias, toute une équipe s'est jetée sur l'occasion de remettre en doute son intégrité, à défaut de pouvoir apporter des éléments rhétoriques.
De la militante Widad Kefti qui officie désormais chez AJ+ la version pop d'Al Jazeera, Assia Benziane adjointe au maire de Fontenay-sous-Bois en charge de l'égalité et des droits des femmes à Madjid Messaoudène (élu Front de Gauche de la mairie de Saint-Denis délégué à l'Égalité femme/homme, la lutte contre les discriminations, l'égalité des droits, et les services publics) en passant par Sihame Assbague il y eut une indignation toute sélective face à celle qui selon cette dernière "est régulièrement invitée sur les plateaux TV pour diffamer et cracher sa haine contre les musulmans et les milieux antiracistes."
Cette indignation théâtrale, notamment de Madjid Messaoudène, qui se moquait récemment de l'une des victimes présumées de Tariq Ramadan, dont la plainte pour viol est en cours d'instruction, montre que la communication à période de consommation courte aide grandement à retrouver de la crédibilité sur des sujets, aussi sérieux soient-ils.
Les féministes habituellement en vue, toujours à l'affût d'un terme ou d'une blague pour en souligner le sexisme, ont cette fois encore été totalement absentes.
Tous les beaux discours égalitaires s'arrêtent au point d'intersectionnalité des luttes pour céder le passage aux idées de ceux qui se sont proclamés porte-parole des concernés, laissant la couleur et la religion définir la citoyenneté.
Laurence Marchand-Taillade, présidente de l'Observatoire de Laïcité du Val d'Oise et de Forces Laïques, fut l'une des seules à relever, en s'indignant dans un tweet adressé à Rokhaya Diallo : "d'accord avec l'imam de Brest qui prétend qu'une femme qui sort sans voile sort sans honneur ? C'est bien ça ? La non voilée est bien "à disposition" ?".
De nombreuses femmes ont elles aussi réagi à cette étonnante normalisation d'un tissu pour séparer les honorables femmes de celles qui sont à disposition.
Les réseaux sociaux leur ont permis de s'exprimer, une parole qui reste hélas sans relais médiatique, car il est plus commode de continuer à reconduire quelques personnalités dans leur fonction autoproclamée de féministe communautaire.
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